L’expression « décret tertiaire » et un peu trompeuse car elle désigne en réalité un édifice de normes à trois étages, qui ne se résume sûrement pas à un décret. Ce triple socle (loi, décret, arrêté) devra de plus être mis en œuvre au travers d’outils contractuels adaptés.
Ce feuilleton en 4 épisodes se propose de parcourir ces 4 volets:
- Épisode 1 : l’étage législatif
- Épisode 2 : le décret (ICI)
- Épisode 3 : l’arrêté (ICI)
- Épisode 4 : les outils contractuels (ICI)
L’étage législatif s’est construit en 4 temps et a nécessité pas moins de 3 lois.
1. Les Lois Grenelle
La loi Grenelle 1 de 2009 a érigé la lutte contre le dérèglement climatique en priorité nationale et a ainsi fixé un objectif dit de facteur 4 en diminuant les émissions de gaz à effet de serre par 4 avant 2050. L’article 5 de cette loi prévoyant une diminution de 38% des consommations d’énergie avant 2030.
Puis, la loi Grenelle 2 a posé en 2010 l’obligation d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire.
Le texte était alors le suivant:
« Des travaux d’amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s’exerce une activité de service public dans un délai de 8 ans à compter du 1er janvier 2012 (…) ».
Un décret en Conseil d’État était prévu pour déterminer la nature et les modalités de cette obligation de travaux, notamment les caractéristiques thermiques ou la performance énergétique à respecter en tenant compte de l’état initial et de la destination du bâtiment, de contraintes techniques exceptionnelles, de l’accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite ou de nécessités liées à la conservation du patrimoine historique.
Cette rédaction de 2010 comportait quelques imperfections (le terme « travaux » et non « actions » par exemple) et ne pouvait de toutes les façons entrer en vigueur qu’au moyen d’un décret d’application, illico baptisé « décret tertiaire ».
2. La préfiguration du décret
La concertation de 2010
L’État a aussitôt engagé une large concertation en vue de préparer le futur décret : par lettre de mission du 22 septembre 2010, le Directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) a chargé Philippe Pelletier, Président du Plan Bâtiment Durable, de lancer cette consultation et de déterminer les grands équilibres qui pourraient structurer le processus de rénovation énergétique du parc tertiaire.
Philippe Pelletier a alors chargé Maurice Gauchot, Président de CBRE France, de réunir l’ensemble des acteurs du parc tertiaire public et privé afin de formuler des contributions à la rédaction du décret.
Au terme de cette large consultation, le rapport du groupe de travail a élaboré un certain nombre de recommandations de méthode et d’objectifs. Il a été salué par l’ensemble des acteurs de l’immobilier tertiaire en ce qu’il a exprimé un large consensus même si les collectivités locales ont fait part de fortes réserves au regard du financement des actions à initier.
La charte volontaire du Plan Bâtiment Durable
Désireux de porter les propositions du groupe de travail, le Plan Bâtiment Durable a décidé de lancer, en octobre 2013, une Charte volontaire en vue de:
– Anticiper la mise en application de l’obligation future de travaux d’amélioration de la performance énergétique annoncée dans l’article 3 de la loi du 12 juillet 2010;
– Susciter un mouvement d’ensemble en faveur de l’efficacité énergétique, du bien-être des utilisateurs et de l’activité économique de la filière.
Voir la charte et les signataires, au 30/08/2019 : ICI.
3. La loi de transition énergétique de 2015
La loi de transition énergétique pour une croissance verte de 2015 a fixé par son article 17 des périodes de 10 ans, de 2020 à 2050, pour scander en objectifs intermédiaires, l’objectif final de baisse de 60% au moins en 2050 des consommations énergétiques du parc tertiaire.
Ce texte n’a toutefois pas permis de donner une assise juridique suffisamment robuste au décret pris pour son application (le premier décret tertiaire du 9 mai 2017) qui a été suspendu puis annulé par le Conseil d’État (sur les motifs de cette annulation, cf. post précédent).
4. La loi ELAN de 2019
La loi dite ELAN a ainsi été appelée à la rescousse pour prévoir -enfin- le dispositif légal nécessaire.
L’obligation de performance énergétique
L’article 175 de la loi, codifié depuis à l’article L.111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, prévoit ainsi notamment:
– le champ d’application de l’obligation qui pèse sur tout bâtiment, partie de bâtiment ou ensemble de bâtiments du parc tertiaire
– l’option entre le respect soit d’un niveau de consommation d’énergie finale fixé en valeur absolue, soit d’un niveau de consommation d’énergie finale réduit, respectivement, de 40 %, 50 % et 60 % par rapport à une consommation énergétique de référence qui ne peut être antérieure à 2010.
Les modulations de l’obligation
Ces objectifs peuvent être modulés en fonction :
– De contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales relatives aux bâtiments concernés,
– D’un changement de l’activité exercée dans ces bâtiments ou du volume de cette activité,
– De coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d’énergie finale.
La coopération entre propriétaires et preneurs
La loi pose ensuite le principe selon lequel les propriétaires et les preneurs à bail sont soumis à l’obligation pour les actions qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations.
Elle impose ainsi une coopération entre ces deux acteurs, dès lors que bailleurs et preneurs doivent définir ensemble les actions destinées à respecter cette obligation et mettent en œuvre les moyens correspondants chacun en ce qui les concerne.
La loi prévoit enfin que l’évaluation du respect de l’obligation est annexée, « à titre d’information » (sic), à toute vente ou location.
Le parent pauvre, le carbone
Le sujet du carbone aurait été complétement absent de la loi s’il n’avait été prévu un filet de sécurité aux termes duquel les actions d’amélioration de la performance énergétique doivent s’inscrire « en cohérence avec les objectifs fixés par la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone » de l’article L. 222-1 B du code de l’environnement.