Création d’un parc éolien dans les eaux bretonnes : le rejet du recours contre une procédure d’appel d’offres irrégulière

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Dans son arrêt du 24 juillet 2019, n°416862, le Conseil d’État rappelle que les critères de sélection des offres doivent être exhaustivement énoncés dans le cahier des charges, le pouvoir adjudicateur ne pouvant se fonder sur d’autres critères pour attribuer le marché.

Cet arrêt a retenu notre attention car bien que le juge administratif reconnaisse, en l’espèce, l’excès de pouvoir commis par le pouvoir adjudicateur lors de l’attribution du marché de création d’un parc éolien au large de Saint-Brieuc, il n’annule pas pour autant la procédure d’appel d’offres.

Les circonstances de l’espèce

Une procédure d’appel d’offres a été lancée en juillet 2012 afin de sélectionner des opérateurs chargés de la création et la gestion d’éoliennes en mer, au large de Saint-Brieuc.

Cette procédure portait sur cinq lots et la société Ailes Marines a été déclarée, par une décision du 6 avril 2012, attributaire du lot n°4 portant sur une installation de production d’énergie électrique. Les trois autres lots ont été attribués au consortium représenté par la société Eolien Maritime France, le dernier lot n’ayant fait l’objet d’aucune attribution.

Par un arrêté ministériel du 18 avril 2012, la société attributaire a été autorisée à exploiter le parc éolien, tandis que la société Éolien Maritime France s’est vue notifier le rejet de sa candidature pour l’attribution du lot n°4 par une lettre du 19 avril 2012.

La société Nass et Wind, membre du consortium de la société Éolien Maritime France, conteste ce rejet et demande au juge administratif d’annuler l’arrêté du 18 avril 2012 et la décision de rejet de sa candidature du 19 avril 2012, et de faire droit à sa demande de réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de ces décisions.  

L’intérêt à agir du membre d’un consortium

La société Nass et Wind a en effet créé, avec trois autres entreprises, un consortium représenté par la société Éolien Maritime France, pour développer le projet éolien en mer correspondant au lot n°4. Elle estime avoir subi un préjudice du fait du rejet de sa candidature et demande au juge de condamner l’État à lui verser une indemnité à hauteur de 23 061 506 euros.

La Cour administrative d’appel de Nantes, dans son arrêt du 30 octobre 2017, n°16NT00528, a estimé que la société Nass et Wind n’avait pas intérêt à agir en l’espèce car elle pouvait uniquement être regardée comme cocontractante de la société Éolien Maritime France.

Le Conseil d’État a, quant à lui, considéré que la société requérante, membre du consortium d’entreprises, était bien membre du groupement représenté par la société Éolien Maritime France, ayant répondu à l’appel d’offres pour l’attribution du lot n°4 et avait donc un intérêt à agir.

L’obligation d’exhaustivité des critères retenus de choix

Le contexte

Trois des quatre lots portant sur la réalisation des parcs éoliens, simultanément envisagés dans la Manche et l’Atlantique, avaient été attribués à la société Éolien Maritime France. La Commission de régulation réunie le 5 avril 2012 pour donner un avis sur le choix des offres portant sur le lot n°4, a classé en premier rang la candidature de la société Éolien Maritime France et en deuxième rang celle de la société Ailes Marines.

Le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ont cependant attribué ce lot à la société Ailes Marines. Il ne retient pas la candidature de la société Éolien Maritime France au motif qu’il y avait lieu de :

« Répartir l’effort industriel sur plusieurs candidats afin de privilégier une répartition des risques sur plusieurs opérateurs […] et de minimiser les risques d’exécution du programme d’ensemble ».

L’interprétation du Conseil d’Etat

Le Conseil d’État précise alors, en citant les textes en vigueur lors de l’attribution litigieuse, que l’administration peut recourir à une procédure d’appel d’offres pour la construction de nouvelles installations de production, et qu’elle doit le faire sur la base de critères publiés et ajoute que :

« En vue de garantir la transparence et la non-discrimination, le cahier des charges contient la description détaillée des spécifications du marché et de la procédure à suivre par tous les soumissionnaires, de même que la liste exhaustive des critères qui déterminent la sélection des soumissionnaires et l’attribution du marché, y compris les incitations, telles que les subventions » (Article 8 de la directive du 13 juillet 2009).

Ainsi, le juge administratif rappelle que le cahier des charges doit, afin d’assurer la transparence et l’objectivité de la procédure de sélection des candidats et son caractère non-discriminatoire, énoncer de manière exhaustive les critères retenus pour l’instruction et la sélection des offres ainsi que leur hiérarchisation et leur pondération.

En l’espèce, le cahier des charges ne prenait pas en compte, au titre des critères qu’il retient, la répartition de l’effort industriel sur plusieurs candidats afin de minimiser les risques d’exécution du programme d’ensemble. Le Conseil d’Etat ajoute que :

« S’il était loisible au ministre chargé de l’énergie de prévoir un tel critère comme de prévoir un plafonnement du nombre des sites attribués à un même candidat, il lui appartenait de le faire apparaître dans le cahier des charges de l’appel d’offres. »

De plus, ce même cahier des charges prévoyait la possibilité, pour les candidats, de proposer des offres pour plusieurs lots.

Le ministre ne pouvait donc pas se fonder sur des motifs ne reposant pas sur les critères prévus par le cahier des charges pour écarter la candidature de la société Éolien Maritime France, rendant la procédure d’appel d’offres irrégulière.

Le rejet du motif de l’illégalité de la décision d’attribution par voie d’exception

La société requérante n’avait pas demandé l’annulation de la décision du 6 avril 2012, désignant la société Ailes Marines attributaire. Dans ses conclusions, elle contestait uniquement l’arrêté du 18 avril 2012, autorisant la société Ailes Marines à exploiter le parc éolien et la décision du 19 avril 2012 rejetant sa candidature.

Elle soulève dans sa requête l’illégalité par voie d’exception de la décision du 6 avril. Or le Conseil d’Etat rappelle que :

« L’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale. »

Or en l’espèce, d’après le juge administratif, la décision d’attribution du 6 avril 2012 précède et rend possible l’édiction de la décision du 18 avril 2012 qui autorise l’attributaire à exploiter les installations éoliennes, mais n’en constitue pas, pour autant, la base légale de la seconde décision.

Le Conseil d’Etat estime ainsi que la société requérante ne peut invoquer, à l’appui de ses conclusions, l’illégalité par voie d’exception de la décision du 6 avril 2012. Il ajoute que :

« [La société requérante] ne peut davantage, eu égard à l’objet respectif des décisions en cause, utilement critiquer, au soutien de sa demande d’annulation de l’arrêté d’autorisation litigieux, la procédure d’appel d’offres ayant conduit à retenir cette candidature. »

Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré que cette irrégularité de la procédure d’appel d’offres n’avait pas en soi d’incidence sur les caractéristiques du projet de parc éolien lui-même, mais condamne l’État à indemniser le concurrent évincé, la société Nass et Wind, à hauteur de 2,5 millions d’euros en réparation du préjudice causé en raison de l’irrégularité.

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