Le maître d’œuvre qui s’abstient de signaler au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme de construction engage sa responsabilité.
Les faits
Par un acte d’engagement du 30 juin 1998, une commune a conclu un marché de maîtrise d’œuvre avec un architecte pour la conception d’une salle polyvalente. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 27 juillet 1999.
Par un jugement du 10 février 2017, le tribunal administratif de Lille a condamné l’architecte à indemniser la commune du préjudice résultant de la non-conformité de la salle polyvalente aux normes d’isolation acoustique en vigueur.
Par un arrêt du 16 mai 2019, la cour administrative d’appel de Douai a annulé ce jugement et aggravé l’obligation de réparation du préjudice de la commune mise à la charge de l’architecte.
L’architecte se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai.
Le Conseil d’État rappelle et précise l’étendue de la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil.
La solution
Le Conseil d’État rappelle d’abord que la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves.
En conséquence, la Haute juridiction précise que ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage.
En conséquence, le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel de Douai, après avoir relevé que l’architecte s’était abstenu de signaler au maître de l’ouvrage le contenu de nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet et de l’alerter de la non-conformité de la salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu’il en avait eu connaissance en cours de chantier, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que sa responsabilité pour défaut de conseil était engagée.
Le pourvoi en cassation est donc rejeté.
Portée de la décision
Le Conseil d’État tire les conséquences du fait que le devoir de conseil du maître d’œuvre s’apprécie et se mesure au regard de l’objectif de réception de l’ouvrage, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait comme de droit susceptibles d’intervenir jusqu’à cette date, y compris les changements de normes ou de réglementation.
Le devoir de conseil du maître d’œuvre a pour objet d’offrir la possibilité a maître d’ouvrage de tirer les conséquences, y compris au moment de la réception, de l’entrée en vigueur de nouvelles normes.
Il reste que, selon le Conseil d’État, le maître d’ouvrage, au titre de ses pouvoirs de contrôle, est censé être au fait de la nouvelle réglementation. En conséquence, le Conseil d’État juge que le maître d’ouvrage doit conserver une part de responsabilité.
C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel de Douai a jugé que la faute commise dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle par la commune, qui était censée être au fait de la nouvelle réglementation, mais à laquelle aucun reproche ne pouvait être adressé dans l’estimation de ses besoins ou dans la conception même du marché, ne justifiait qu’une exonération partielle de la responsabilité du maître d’œuvre à hauteur seulement de 20 % du montant du préjudice.