Conditions d’interruption du délai de garantie décennale dans le cadre d’un référé expertise

Print Friendly, PDF & Email

La circonstance que les opérations d’expertise ont été étendues à un constructeur ou à son assureur par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie, ne suffit pas à assurer l’effet interruptif de la prescription au profit d’une autre partie.

Les faits

Une communauté de communes a fait procéder à compter de l’année 2014 à des travaux en vue de l’aménagement d’une médiathèque. Des désordres étant apparus, elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, qui y a fait droit, d’une demande d’expertise aux fins, notamment, de se prononcer sur l’origine et l’étendue des désordres affectant l’ouvrage et de fournir les éléments permettant d’établir les responsabilités encourues. 

Par la suite, l’assureur dommages-ouvrage de la communauté de communes a demandé au juge du référé d’étendre les opérations d’expertise à d’autres personnes que les parties initialement désignées et de compléter les missions de l’expert. Le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a fait partiellement droit à sa demande mais a rejeté le surplus de ses conclusions, tendant à la mise en cause, des assureurs de certains constructeurs. 

L’assureur dommages-ouvrage de la communauté de communes se pourvoit en cassation contre l’ordonnance par laquelle la présidente de la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté son appel, au motif que par application des dispositions de l’article 2241 du code civil, la demande en référé présentée par la communauté de communes avait aussi pour effet d’interrompre la prescription au bénéfice de son assureur à l’encontre de tous les assureurs des constructeurs et privait en conséquence d’utilité l’extension de la mesure d’expertise à ces derniers.

La solution

Le Conseil d’État, après avoir rappelé « qu’une citation en justice, au fond ou en référé, n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait » (CE 20 novembre 2020, n°432678), tire les conséquences de cette règle en ce qui concerne les assureurs des constructeurs, et ce à trois égards. 

En premier lieu, en ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs, le Conseil d’État précise que lorsqu’une demande est dirigée contre un constructeur, la prescription n’est pas interrompue à l’égard de son assureur s’il n’a pas été également cité en justice. 

En second lieu, lorsqu’une demande est dirigée contre un assureur au titre de la garantie décennale souscrite par un constructeur, la prescription n’est interrompue qu’à la condition que cette demande précise en quelle qualité il est mis en cause, en mentionnant l’identité du constructeur qu’il assure. Cette précision est d’autant plus importante qu’il n’est pas rare que plusieurs constructeurs s’assurent auprès du même assureur. 

Enfin, n’a pas d’effet interruptif de la prescription au profit d’une partie la circonstance que les opérations d’expertise ont déjà été étendues à cet assureur par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie. De son côté, l’assureur du maître de l’ouvrage, susceptible d’être subrogé dans ses droits, bénéficie de l’effet interruptif d’une citation en justice à laquelle le maître d’ouvrage a procédé dans le délai de garantie décennale.  

Faisant application de ces principes, le Conseil d’État juge que la présidente de la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit en estimant que la demande en référé présentée par la communauté de communes avait aussi eu pour effet d’interrompre la prescription au bénéfice de son assureur à l’encontre de tous les assureurs des constructeurs, alors même que ceux-ci n’avaient pas été mis en cause. L’ordonnance du 26 mai 2020 est annulée.

La portée de la décision

Les maîtres d’ouvrage doivent se montrer vigilants dans la conduite des opérations d’expertise. La circonstance qu’une partie soit présente aux opérations d’expertise ne suffit pas à interrompre le délai de prescription de la garantie décennale au profit du demandeur à l’expertise, si celui n’a pas lui-même cité cette partie en justice. 

Inversement, la demande tendant à obtenir l’extension d’une expertise à des parties déjà présentes aux opérations d’expertise présente un caractère d’utilité si cette extension offre à la partie qui la sollicite la possibilité d’interrompre le délai de prescription de la garantie décennale. 

Il semble en conséquence que les maîtres d’ouvrage doivent, ne serait-ce qu’à titre de précaution, veiller à ce que le délai de prescription de la garantie décennale soit interrompu à l’égard de tous les constructeurs et assureurs participant aux opérations d’expertise, y compris à l’égard de ceux dont la présence à l’expertise n’est pas la conséquence d’une demande du maître d’ouvrage lui-même.

Please follow and like us:
error
Tweet