CE, 19 novembre 2020, n° 427301
Faits
Dans cet arrêt, la commune de Grande-Synthe demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les pouvoirs publics sur leurs demandes tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national.
La commune demandait également que soient mises en œuvre des mesures immédiates d’adaptation au changement climatique de la France, et enfin à ce que soient prises toutes dispositions d’initiatives législatives et réglementaires afin de « rendre obligatoire la priorité climatique » et interdire toute mesure susceptible d’augmenter.
Question
Le gouvernement respecte-t-il la trajectoire d’inflexion des émissions de CO2?
Décision
Le Conseil d’État, juge la requête de la commune de Grande-Synthe recevable « eu égard à son niveau d’exposition aux risques découlant du phénomène de changement climatique et à leur incidence directe et certaine sur sa situation et les intérêts propres dont elle a la charge ». Il est ensuite établi que la France est signataire de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) du 9 mai 1992 et de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015. Les stipulations de la CCNUCC ainsi que l’accord de Paris sont jugées comme étant dépourvues d’effet direct, si bien la demande d’annulation du refus implicite de mettre en œuvre des mesures d’adaptation immédiate au changement climatique est rejetée.
Néanmoins ces dernières doivent être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national. Le Conseil d’État relève que c’est précisément ce qui a été fait, notamment par l’article L.100-4 du Code de l’énergie, et ajoute que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé par cet article, a pour objet d’assurer, pour ce qui concerne la France, la mise en œuvre effective des principes posés par ces textes.
À cet égard, afin d’atteindre effectivement cet objectif de réduction, les dispositions de l’article L.222-1-A du Code de l’environnement confient à un décret le soin de fixer un plafond national des émissions de gaz à effet de serre pour la période 2015-2018 puis pour chaque période consécutive de cinq ans. Or, il apparaît qu’au terme de la période 2015-2018, la France a substantiellement dépassé le premier budget carbone qu’elle s’était assigné. Toutefois, le décret du 21 avril 2020 a modifié les budgets carbones à venir, de telle sorte à permettre d’atteindre notamment l’objectif final de réduction des émissions de gaz à effet fixé à l’article L.100-4 du Code de l’énergie.
Le Conseil d’État constate que ces modifications apportées par le décret du 21 avril 2020 par rapport à ce qui avait été envisagé en 2015, revoient à la baisse l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet au terme de la période 2019-2023 et prévoient ce faisant un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020, selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici.
La Haute Assemblée demande donc aux parties, dont le gouvernement, de justifier, dans un délai de trois mois, que le refus de ce dernier de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.
Commentaire
Il convient d’abord de noter que la contestation du refus implicite de prendre des initiatives législatives et réglementaires afin de « rendre obligatoire la priorité climatique » et d’interdire toute mesure susceptible d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre est rejetée dans la mesure où le fait, pour le pouvoir exécutif, de s’abstenir de soumettre un projet de loi au Parlement, touche aux rapports entre les pouvoirs publics et échappe par là même à la compétence de la juridiction administrative.
Le Conseil d’État a prononcé une décision de sursis à statuer qui en l’état, ne condamne pas le gouvernement : c’est bien la prochaine décision, et non celle-ci, qui sera décisive. De plus, le gouvernement doit justifier de la trajectoire adoptée, et non de la réalisation de l’objectif lui-même.
Néanmoins, si les justifications des parties s’avéraient insuffisantes, le Conseil d’État pourrait alors annuler le refus gouvernemental de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de –40 % à horizon 2030.