L’incompatibilité du régime de l’ASL avec celui de la domanialité publique

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Rappels

Comme nous l’avions souligné dans un article paru sur le site en février dernier (ICI), le juge administratif a eu très récemment l’occasion de se prononcer sur la compatibilité du régime des associations foncières urbaines libres (AFUL) avec celui de la domanialité publique (CE, 23 janvier 2020 n° 430192).

Sans surprise, au regard notamment du raisonnement traditionnellement retenu par le juge en matière de copropriété des immeubles bâtis (cf. notamment, CE, 11 février 1994, n° 109564, Cie d’assurances La Préservatrice foncière), ce dernier a affirmé l’incompatibilité du régime des AFUL avec celui de la domanialité publique au motif que l’article L.322-9 du code de l’urbanisme prévoit un mécanisme de garantie des créances d’une association foncière urbaine à l’encontre d’un associé par une hypothèque légale sur les immeubles de ce dernier compris dans le périmètre de l’association. Une telle hypothèque permet au créancier, en ce qu’elle constitue une sûreté réelle immobilière, de faire vendre l’immeuble d’un associé. Or, il est constant qu’une sûreté hypothécaire de ce type contrevient nécessairement au principe d’inaliénabilité du domaine public. 

La transposition de la solution rendue par le juge en matière de copropriété aux immeubles publics situés dans le périmètre d’une AFUL apparaissait inévitable et semblait à l’évidence devoir être étendue plus largement aux associations syndicales libres (ASL), lesquelles sont soumises, depuis le 1er juillet 2004, aux dispositions de l’ordonnance n° 2004-632 du 1 juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires prévoyant également un mécanisme d’hypothèque légale.

La décision du 10 mars 2020

Par une décision du 10 mars 2020, le Conseil d’État a eu à connaître d’une question préjudicielle posée par le juge judiciaire, en matière d’association syndicale libre (ASL). 

Contexte

En l’espèce, la très ancienne ASL de la cité Boigues, située à Clamart, a saisi en 2017 le juge judiciaire de conclusions tendant à ce qu’il déclare la commune de Clamart membre de l’association en sa qualité de propriétaire de parcelles incluses dans son périmètre. 

Pour mémoire, les droits et obligations incombant aux membres d’une ASL ont un caractère réel. C’est d’ailleurs pour cette raison que le rapporteur public dans cette affaire a pu énoncer dans ses conclusions qu’ « en vérité, ces associations regroupent moins des propriétaires que des propriétés ». En ce sens, il a pu ajouter que ces droits et obligations « suivent les immeubles, en quelques mains qu’ils passent, jusqu’à la dissolution de l’association ou à la réduction de son périmètre ».

Le juge judiciaire souhaitant obtenir du juge administratif qu’il se prononce sur l’appartenance au domaine public des quelques parcelles situées dans le périmètre de l’ASL dont la commune est propriétaire, a naturellement sursis à statuer jusqu’à ce que son homologue administratif établisse sa solution. En cas de réponse affirmative, la question se posait également de savoir si l’affectation desdites parcelles s’accordait avec le régime de l’ASL.

Principes

Après avoir rappelé qu’antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004, aucune disposition ne faisait obstacle à ce que des personnes publiques soient membres d’une ASL à raison de biens constituant des dépendances de leur domaine public, le juge suprême de l’ordre administratif affirme qu’il découle bel et bien du mécanisme d’hypothèque légale prévu par l’article 6 de l’ordonnance précitée que le régime des ASL est désormais incompatible avec celui de la domanialité publique, notamment avec le principe d’inaliénabilité.

De cette incompatibilité de principe, le juge administratif tire plusieurs conséquences

Conséquences

D’une part, un immeuble inclus dans le périmètre d’une ASL et qui, à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004, n’appartenait pas au domaine public d’une personne publique, ne peut devenir une dépendance de ce domaine, alors même qu’il serait affecté à l’usage direct du public ou qu’il serait affecté à un service public et aurait fait l’objet d’aménagements propres à lui conférer cette qualification. 

D’autre part, l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004 ne saurait toutefois avoir eu pour effet d’emporter le déclassement des biens qui tout à la fois, avant cette entrée en vigueur, appartenaient déjà au domaine public et se trouvaient compris dans le périmètre d’une ASL. Sauf à ce qu’ils fassent l’objet d’un déclassement, ces biens continuent d’appartenir au domaine public.

Dans cette dernière hypothèse, afin d’opérer une conciliation acceptable des deux régimes désignés comme expressément incompatibles, le juge considère que cette incompatibilité a seulement pour conséquence l’impossibilité pour l’ASL de mettre en œuvre, pour le recouvrement des créances qu’elle détient sur la personne publique propriétaire, la garantie de l’hypothèque légale sur les biens inclus dans le périmètre et appartenant au domaine public.

Le juge administratif a tenu à adopter en l’espèce une solution pour le moins opérationnelle, tendant, comme le lui recommandait le rapporteur public, à « donner la priorité au régime juridique ayant trouvé à s’appliquer en premier », le tout en permettant une coexistence « pacifique » des deux régimes lorsque des biens appartenaient au domaine public et entraient également dans le périmètre d’une ASL avant 2004. Comme le rappelle le rapporteur public dans cette affaire, « le prix à payer pour l’ASL de cette neutralisation partielle de ses pouvoirs n’est pas excessif car il existe d’autres moyens que l’hypothèque pour garantir et surtout obtenir le paiement d’une créance de cotisations syndicales auprès d’une commune en principe solvable ». 

Cet arrêt a le mérite de constituer une illustration intéressante de ce que deux régimes de droit public et de droit privé incompatibles peuvent toutefois coexister et ce, dans l’intérêt de l’ensemble des parties en présence. 

Néanmoins, la lecture de cette décision, ou tout du moins le raisonnement qui l’anime, laisse à comprendre qu’à compter du 1er juillet 2004, tout bien appartenant au domaine public ne saurait valablement entrer dans le périmètre d’une ASL.

Si telle est bien la position du juge, alors la participation de nombreuses collectivités à des opérations immobilières de type « ville durable » pourrait s’en trouver complexifiée. Il est ainsi souhaitable que le juge ait prochainement l’occasion de se prononcer afin d’apporter de nouvelles précisions en la matière.

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