Surtension à l’Assemblée nationale: l’autoconsommation collective électrocutée par amendement @M_Orphelin @ser_enr @enercitif

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Alors que l’élargissement du périmètre technico-géographique des opérations d’autoconsommation électrique collective suivait son petit bonhomme de chemin, un amendement parlementaire adopté lors de la séance du 25 juin 2019 à l’Assemblée nationale risque de mettre fin aux progrès accomplis depuis 2015.

Sur le feuilleton de l’autoconsommation collective et son ouverture progressive, voir posts précédents ICI.

L’autoconsommation collective réduite au périmètre d’un seul bâtiment

Lors des débats sur la loi « Énergie et climat » (dite « petite loi énergie »), le rapporteur de la commission des affaires économiques a fait adopter, avec l’avis favorable du Gouvernement, un amendement n°860 (2ème rectif) aux termes duquel l’article L.315-2 du code de l’énergie (qui fixe les conditions de l’opération autoconsommation collective) serait désormais rédigé comme suit (modification en souligné):

« L’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels« .

Cette rédaction est létale à bref délai pour le développement de l’autoconsommation collective en France.

Un fondement juridique erroné

En premier lieu, le fondement juridique utilisé est erroné: l’exposé des motifs de l’amendement rappelle que la directive du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, entrée en vigueur le 24 décembre 2018, doit être transposée pour le 30 juin 2021 au plus tard, ce qui supposerait de « modifier certaines dispositions du code de l’énergie relative à l’autoconsommation individuelle et collective et d’y créer la notion de communauté d’énergie renouvelable (CER) ». L’exposé des motifs de l’amendement précise ensuite que « concernant l’autoconsommation collective, la directive restreint le périmètre de l’autoconsommation collective à un même bâtiment ou immeuble résidentiel » (sic).

Si l’on se reporte aux dispositions pertinentes de la directive, force est de constater que l’interprétation qui en est faite par les auteurs de l’amendement est très excessive et procède d’une surtransposition dont la France a hélas le triste secret.

L’article 21 de la directive a en réalité pour objectif de faciliter les opérations d’autoconsommation, en rappelant notamment que « les États membres mettent en place un cadre favorable visant à promouvoir et à favoriser le développement de l’autoconsommation d’énergies renouvelables« .

En dépit de cet objectif explicitement rappelé, les auteurs de l’amendement comprennent que le paragraphe 4 de l’article 21 de la directive impose de réduire le périmètre géographique de l’opération. Ce paragraphe 4 est rédigé comme suit:

« 4. Les États membres veillent à ce que les autoconsommateurs d’énergies renouvelables situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels, aient le droit d’exercer collectivement les activités visées au paragraphe 2 et soient autorisés à organiser entre eux un partage de l’énergie renouvelable produite sur leur(s) site(s), sans préjudice des frais d’accès au réseau et d’autres frais pertinents, redevances, prélèvements et taxes applicables à chaque autoconsommateur d’énergie renouvelable. Les États membres peuvent faire une distinction entre les autoconsommateurs d’énergies renouve­lables agissant de manière individuelle et ceux agissant de manière collective. Toute différenciation de la sorte est propor­tionnée et dûment justifiée ».

L’interprétation de ces dispositions devrait être que les États ne peuvent priver les autoconsommateurs des droits que la directive leur reconnait à l’article 21 paragraphe 2, au minimum à l’échelle d’un seul bâtiment y compris résidentiel.

Mais de là à en déduire que la directive impose de réduire le régime juridique de l’autoconsommation à un seul bâtiment, il y a toute une rangée de fusibles à griller!

Le contresens est patent.

Bien souvent la loi varie, bien fol est qui s’y fie!

En second lieu, il faut avoir à l’esprit que la rédaction actuelle de l’article L.315-2 en voie d’être modifiée par l’amendement critiqué date de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite « loi PACTE ») qui remonte au 22 mai 2019. Cette rédaction aura donc vécu un petit mois.

Au passage, il serait cocasse de souligner, si ce n’était la seconde mort de Montesquieu, que l’obligation de transposition de la directive sur laquelle se fonde l’amendement existait dans les mêmes termes lors de la discussion de cette loi, ce qui n’a apparemment alors alarmé personne…

« Il est vrai que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante »

Montesquieu, Les lettres persanes, Lettre LXXIX

L’autoconsommation réanimée in extremis

Fort heureusement par un nouveau sous-amendement, le Gouvernement a proposé d’insérer la phrase suivante, afin de rendre possible la poursuite des opérations d’autoconsommation collective qui avaient été permises par la loi PACTE:

« Une opération d’autoconsommation collective peut être étendue lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie. »

Il n’en reste pas moins que ce sauvetage, salutaire, s’inscrit difficilement en cohérence avec l’étude d’impact du projet de loi qui expose (p.73) que « la redéfinition de l’autoconsommation collective (Directive énergies renouvelables) : en droit français, l’autoconsommation collective peut concerner plusieurs bâtiments, ce qui n’est pas le cas dans la définition retenue par la directive ».

« La chouette de Minerve ne prend son envol qu’au crépuscule »

Selon Hegel, la sagesse ne s’exprime qu’après la fin de l’action.

Face à ces hésitations, il conviendra donc de rester en alerte et de vérifier que la version finale du projet de loi demeure dans la perspective de développement maîtrisé de l’autoconsommation collective ouverte en 2015.

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