Conseil d’État, 5 avril 2023, ministre des Armées, n°463554A
faits
La société Iveco France est titulaire, depuis le 11 janvier 2007, d’un marché ayant pour objet « l’acquisition de véhicules de dégivrages et d’antigivrages pour aéronefs » passé par la Structure Intégrée du Maintien en Condition Opérationnelle des Matériels Aéronautiques du Ministère de la Défense (« SIMMAD »).
Le 24 avril 2008, la SIMMAD a résilié le marché aux torts du titulaire.
Le 24 octobre 2008, la SIMMAD a attribué un marché de substitution à la société Vestergaard.
De 2013 à 2015, la SIMMAD a notifié à la société Iveco des décomptes provisoires de résiliation de son marché, mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant du marché de substitution.
La société Iveco a alors formé un recours tendant à la décharge du paiement de ces décomptes provisoires et à ce que le juge arrête le décompte du marché résilié.
Par un jugement en date du 2 mai 2016, le Tribunal Administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.
Par un arrêt du 20 décembre 2018, la Cour Administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la société Iveco France contre ce jugement.
Par une décision du 26 février 2020, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel et a renvoyé l’affaire devant la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux.
Par un second arrêt du 27 février 2022, la Cour d’Appel Administrative de Bordeaux a fait droit aux demandes de la société Iveco. Elle a en effet considéré que la société Iveco n’avait pas été mise à même de suivre l’exécution du marché de substitution et ainsi de veiller à la sauvegarde de ses intérêts.
Elle a jugé que le surcoût du marché de substitution, d’un montant supérieur à 2 millions d’euros, ne devait pas être mis à la charge de cette société. Elle a donc annulé le titre de perception émis par la SIMMAD.C’est contre cet arrêt que se pourvoit le ministre des Armées.
question
La personne publique est-elle tenue de communiquer les pièces justifiant de la réalisation des prestations exécutées en application du nouveau contrat conclu et ce en l’absence de demande spécifique du Titulaire initial ?
décision
Le Conseil d’État vient tout d’abord rappeler le principe selon lequel l’administration contractante peut « (…) après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant ».
Il précise néanmoins les conditions entourant la possibilité offerte à l’administration.
En effet, l’administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché initial. Cette notification permet au cocontractant défaillant d’être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de veiller notamment à la sauvegarde de ses intérêts.
Ainsi, le Conseil d’État en conclut que l’administration n’est tenue de communiquer au cocontractant défaillant les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu’à la condition d’être saisie d’une demande en ce sens.Statuant au fond, le Conseil d’État estime ainsi que la Cour d’Appel n’a pas recherché si la société avait bien saisi l’administration d’une demande de communication de pièces justifiant de la réalité des prestations. Elle a ainsi commis une erreur de droit et fait ainsi droit à la demande du requérant.
commentaire
Le Conseil d’État précise donc la procédure encadrant le recours aux marchés de substitution et notamment le droit de suivi bénéficiant au titulaire initial du marché.
Ce droit de suivi constitue le pendant du pouvoir de substitution de l’administration, pouvoir qui existe même en l’absence de toute stipulation contractuelle le prévoyant (CE, 9 janvier 1957).
L’administration ne peut en outre renoncer à ce pouvoir puisqu’il s’agit d’une règle d’ordre public (CE Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806).
Se faisant, le Conseil d’État s’interroge sur le contenu exact de ce droit de suivi et sur les obligations de communication reposant sur la personne publique dans ce cadre.
A ce titre, le rapporteur public a, dans ses conclusions relatives à cette affaire, ainsi estimé « (…) à la réflexion, qu’imposer à l’acheteur public une obligation de communication spontanée des pièces justificatives inciterait au contentieux et serait déséquilibrée ». Pèse ainsi seulement sur la personne publique une obligation de notification du marché de substitution au Titulaire initial, ceci lui permettant de vérifier que le nouveau marché a un objet équivalent au premier marché conclu ou permettant de parvenir au même résultat.