Tribunal Administratif de Besançon, 16 septembre 2022, n°2201418
FAITS
La Métropole « Grand Besançon Métropole » a lancé, courant 2022, une consultation en vue de la passation d’un accord cadre relatif à des travaux de signalisation horizontale sur son territoire. Ce marché comportait cinq lots.
Les lots n° 1 et 2 ont été attribués à la société Global Signalisation, les lots n° 3 et 4 à la société Bourgogne Franche-Comté Signaux et le lot n°5 à la société Signature.
Un candidat évincé a formé un recours de plein contentieux devant le Tribunal Administratif de Besançon à la suite du rejet de sa candidature aux cinq lots de l’accord cadre litigieux. Il demandait en outre au juge administratif d’annuler la procédure de publicité et de mise en concurrence.
Le requérant considérait en effet que la Métropole n’avait pas respecté la règle de la limitation du nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat alors même que les deux sociétés attributaires des quatre premiers lots du marché (la société Global Signalisation et la société Bourgogne Franche-Comté Signaux) étaient des filiales d’un même groupe dotées du même gérant.
En défense, la Métropole Grand Besançon ainsi que les sociétés attributaires des lots dudit marché soutiennent, quant à elles, que le moyen soulevé par la société, candidate évincée, est infondée.
question
Deux sociétés, filiales d’une même société holding, doivent-elles être considérées comme un seul et même soumissionnaire ? Quels sont les éléments permettant de juger de l’autonomie commerciale de deux entités ?
Décision
Le Tribunal Administratif de Besançon juge que la Métropole Grand Besançon n’a pas méconnu le règlement de la consultation de la procédure d’appel d’offres en attribuant les lots 1 à 4 aux deux sociétés filiales d’une même société, cela ne privant pas de toute portée son choix d’allotissement.
En effet, le juge administratif rappelle que l’acheteur public, sur le fondement des dispositions de l’article L 2113-10 du Code de la commande publique, peut passer des marchés en lots séparés, sauf si leur objet ne le permet pas.
Concernant la décomposition du marché en lots, le juge administratif rappelle que ce sont les stipulations du Règlement de consultation du marché qui l’organisent. Il rappelle ainsi, en l’espèce, que le règlement de consultation du marché litigieux prévoyait, en son article 1.4 que :
« Les prestations sont réparties en 5 lots géographiques. Chaque lot fera l’objet d’un accord-cadre. Les candidats ont la possibilité de soumettre des offres pour un ou plusieurs lots. Un même candidat pour se voir attribuer un nombre maximal de 4 lots selon les modalités ci-dessous ».
Le Règlement de consultation venait ainsi limiter l’attribution des lots à un même candidat qui se verrait attribuer au maximum 3 lots.
Le candidat soutient alors qu’en désignant attributaires des lots n°1 et 2 la société Global Signalisation, et des lots n° 3 et 4 la société Bourgogne Franche-Comté Signaux, la Métropole n’a pas respecté la règle de limitation du nombre de lots susceptible d’être attribué à un même candidat figurant en son article 1.4 du règlement de consultation dès lors que lesdites sociétés, filiales de la même société holding, ne présentent pas selon elle, d’autonomie commerciale.
Sur ce point, le Tribunal Administratif de Besançon, appliquant un faisceau d’indices développé et précis, estime que ces deux sociétés, bien que constituant des filiales détenues par une même holding et bénéficiant du même président-directeur général :
- Disposent de sièges sociaux et d’établissements géographiquement distincts ;
- Interviennent dans des domaines d’activités différents ;
- Détiennent chacune leurs propres moyens matériels et humains.
Il relève au surplus que ces sociétés n’ont pas classé les lots dans le même ordre de priorité souhaité du fait de la localisation de leurs établissements.
Cela constitue, selon lui « autant d’éléments de nature à caractériser une stratégie commerciale propre ».
Il estime ainsi que les seules circonstances que les sociétés soient détenues par la même société holding et présidées par la même personne physique, ne peuvent suffire à établir une absence d’autonomie commerciale.
En conséquence, le tribunal considère qu’il n’est pas possible de regarder ces deux sociétés comme un seul et même soumissionnaire, d’autant que la société requérante n’établit pas que les offres des soumissionnaires seraient identiques dans leurs spécifications techniques.
La requête formée par la société évincée est ainsi rejetée.
Commentaire
Le jugement du Tribunal Administratif de Besançon se situe dans la lignée des arrêts rendus par le Conseil d’État en matière de limitation à l’attribution de lots d’un marché public à un même soumissionnaire.
Dans une décision rendue le 8 décembre 2020 (CE, 8 déc 2020, Métropole Aix-Marseille-Provence, n°436532) le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion d’aborder la question de l’autonomie commerciale de deux entités, filiales d’une même société.
A ce titre, le Conseil d’État avait rappelé le principe selon lequel deux personnes morales sont, par principe, distinctes.
Se faisant, il avait précisé que cette présomption pouvait être renversée en rapportant la preuve de l’absence d’autonomie commerciale de ces sociétés résultant notamment de liens étroits entre leurs actionnaires, et justifiant selon lui la qualification de deux sociétés en soumissionnaire unique et le rejet de leurs offres sur le fondement des stipulations du Règlement de la consultation.
Le jugement du Tribunal Administratif vient ainsi préciser les éléments de fait, par le biais de l’application d’un faisceau d’indices précis et détaillé, permettant d’estimer l’absence d’autonomie commerciale entre deux entités filiales d’une même société, qui plus est présidées par le même dirigeant.