Conseil d’Etat, 15 mars 2023, n° 465171
faits
La Ville de Paris a conclu, avec la société Clear Channel France, un contrat de concession de services portant sur la conception, la fabrication, la pose, l’entretien, la maintenance et l’exploitation de mobiliers urbains.
A l’issue de l’attribution de ce contrat, la Société des Mobiliers Urbains pour la Publicité et l’Information (« SOMUPI »), concurrent évincé, a sollicité auprès de la Ville de Paris la communication de documents administratifs relatifs à la procédure de passation dudit contrat litigieux.
Une décision implicite de rejet est née du silence de la Ville de Paris à cette demande.
La SOMUPI a ainsi saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) d’un recours administratif préalable obligatoire.
La Ville de Paris alors décidé de communiquer certains documents à la SOMUPI.
La SOMUPI a demandé au tribunal administratif l’annulation de cette décision en tant qu’elle lui refuse notamment la communication des échanges entre la Ville de Paris et la société attributaire au stade de la phase de négociation des offres ainsi que le rapport d’analyse des offres occulté dans la limite du respect du secret des affaires.
Le tribunal administratif a fait droit à la demande de la SOMUPI par un jugement rendu le 12 avril 2022.C’est contre ce jugement que la Ville de Paris se pourvoit en cassation.
question
Les documents échangés, en phase de négociation, entre un pouvoir adjudicateur et une société attributaire sont-ils couverts par le secret des affaires et donc non communicables aux candidats évincés ?
Décision
Le Conseil d’État estime, s’agissant de la communication de documents administratifs relatifs à la passation de contrats publics, que « les documents et informations échangés entre l’administration et un candidat lors de la phase de négociation d’un contrat de la commande publique, dès lors qu’ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l’article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables ».
Il précise néanmoins que le tribunal administratif était fondé à conclure que les éléments relatifs aux engagements de la société attributaire sur les quantités et la qualité de ses prestations sont par principe communicables « ces éléments ne mentionnant ni les prix unitaires ni les caractéristiques précises de ces prestations, ces informations ne révélant ainsi pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l’entreprise ».
Il juge ainsi que le tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de qualification juridique en considérant que ces documents étaient par principe communicables, alors même qu’il mentionne le respect du secret des affaires.Le Conseil d’État annule le jugement rendu par le tribunal administratif.
commentaire
Le Conseil d’État vient ici préciser les conditions dans lesquelles la protection du secret des affaires peut faire obstacle à la communication de documents administratifs à un candidat évincé dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.
Il rappelle tout d’abord que les contrats de la commande publique et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs communicables dans le respect du secret des affaires.
Il indique également qu’il appartient au juge du fond d’examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont la communication est demandée peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
A ce titre, il souligne que les documents et informations échangés entre l’administration et un candidat lors de la phase de négociation d’un contrat de la commande publique, dès lors qu’ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat ne sont pas communicables.
Prenant l’exemple, au cas d’espèce, de la communication du rapport d’analyse des offres, le Conseil d’État estime qu’il a fait l’objet d’occultations excessives justifiant sa communication au candidat évincé.
En effet, il souligne que les seuls éléments encore apparents du rapport d’analyse des offres sont « (…) les éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l’égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations ».
Ces éléments sont par nature communicables, étant précisé que dès lors qu’ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ils ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l’entreprise.