Conseil d’État, 9 décembre 2022, avis contentieux n°463563
faits
La cour administrative d’appel de Douai a été saisie par une association de protection de l’environnement qui contestait la construction d’un parc éolien dans le département du Pas-de-Calais.
Avant de rendre sa décision, la cour a, par un arrêt n° 20DA01392 du 27 avril 2022, interrogé le Conseil d’État en application des dispositions de l’article L.113-1 du code de justice administrative afin qu’il précise les conditions d’application du régime de protection des espèces et habitats et plus précisément qu’il réponde aux questions suivantes :
1°) Lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation environnementale sur le fondement du 2° de l’article L. 181-1 du code de l’environnement, suffit-il, pour qu’elle soit tenue d’exiger du pétitionnaire qu’il sollicite l’octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l’article L.411-2 de ce code, que le projet soit susceptible d’entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d’un seul spécimen d’une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus ou la destruction, l’altération ou la dégradation d’un seul de leur habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d’entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats, en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées ?
2°) Dans chacune de ces hypothèses, l’autorité administrative doit-elle tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet ?
question
Quelles sont les obligations et conditions de dépôt d’une demande de dérogation « espèce protégée » ?
Décision
Le Conseil d’État s’intéresse en premier lieu aux conditions successives et cumulatives de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation.
Le Conseil d’État précise tout d’abord que le responsable du projet doit examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire : cet examen s’impose dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, et il n’est tenu compte, à ce stade de l’examen, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes.
Ensuite, le Conseil d’État précise que le responsable du projet devra obtenir une dérogation « espèces protégées » si l’atteinte aux espèces protégées est « suffisamment caractérisée ».
Pour démontrer que cette atteinte n’est pas « suffisamment caractérisée » et qu’il n’a donc pas besoin d’une dérogation, il peut tenir compte des mesures permettant d’éviter le risque, mais aussi des mesures permettant de le réduire.
Enfin, s’agissant de l’octroi de la dérogation elle-même, l’administration tiendra notamment compte des mesures d’évitement, de réduction et de compensation prévues, et de l’état de conservation des espèces concernées. Et comme pour toute décision de l’administration, le juge administratif pourra être saisi pour contrôler que la décision finale prise est bien conforme au droit.
commentaire
Le Conseil d’État apporte d’importantes précisions en ce qui concerne les conditions d’application du régime de protection des espèces et habitats.
La directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats », et la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages imposent aux États membres de mettre en place un régime général de protection stricte des espèces animales, des habitats et des oiseaux. Ce régime figure aux articles L.411-1 et suivants du code de l’environnement.
Lorsque la réalisation d’un projet porte atteinte à des espèces protégées ou à leur habitat, une dérogation spéciale doit être obtenue par le responsable du projet.
Cette dérogation peut être accordée lorsque sont remplies trois conditions :
– l’absence de solution alternative satisfaisante,
– le fait de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et,
– s’agissant notamment des contentieux sur des éoliennes tels que celui dont est saisi la cour, le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une « raison impérative d’intérêt public majeur« .
L’avis tend à ne pas imposer une obligation systématique de dépôt d’une demande de dérogation et à souligner le rôle premier de l’étude d’impact pour la protection des espèces protégées.
Cette solution, toutefois, n’apporte pas un cadre totalement sécurisé pour l’administration et les porteurs de projets, puisque l’analyse de la nécessité de déposer ou non une demande de dérogation demeure pour l’essentiel contingente et subjective. Il est vrai que les conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées ne sont pas précisément définies par les textes.