Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 20/11/2020, 432678
L’ensemble des parties à l’opération d’expertise peuvent-elles bénéficier de la suspension de la prescription prévue à l’article 2239 du Code civil ? Le Conseil d’état a récemment eu l’occasion de se prononcer sur cette question.
faits
Une commune a conclu un marché public de maîtrise d’œuvre pour la réalisation d’un collecteur d’eaux usées. Puis, par un marché public de travaux, elle a confié les travaux de construction de ce collecteur à un groupement d’entreprises. La réception de ces travaux est intervenue sans réserve.
La commune a ensuite affermé la gestion et l’exploitation du service public communal de collecte, de transport et de traitement des eaux usées et pluviales. En conséquence d’un sinistre affectant l’ouvrage, le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de la commune, ordonné une mesure d’expertise puis condamné le maître d’œuvre et le groupement d’entreprises à indemniser cette commune, au titre de leur responsabilité décennale, en réparation des conséquences dommageables de ce sinistre pour la commune.
Le délégataire de service public a lui aussi recherché la responsabilité du maître d’œuvre et du groupement d’entreprises pour obtenir réparation des conséquences dommageables pour lui du sinistre. Saisie en appel, la cour administrative d’appel a annulé le jugement du tribunal administratif condamnant le maître d’œuvre et le groupement d’entreprises l’indemniser, au motif que l’action du délégataire de service public était prescrite en application de l’article 2224 du code civil.
Le délégataire de service public demande au Conseil d’État d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel et d’accueillir ses conclusions indemnitaires.
solution
S’il est constant que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance ou, lorsque le juge fait droit à cette demande, suspend le même délai jusqu’à la remise par l’expert de son rapport au juge, cette interruption ou cette suspension ne bénéficient qu’à la partie qui a sollicité la mesure d’instruction.
Alors même que l’article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes « signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire », termes qui n’ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d’étendre le bénéfice de la suspension ou de l’interruption du délai de prescription à d’autres personnes que le demandeur à l’action, et notamment à l’ensemble des participants à l’opération d’expertise.
Portée de la décision
Le Conseil d’État confirme que la suspension de la prescription, en application de l’article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l’interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette seule partie durant le délai d’exécution de cette mesure et ne joue qu’à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l’ensemble des parties à l’opération d’expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d’expertise et pour un objet identique.
La solution est la même dans la jurisprudence de la Cour de cassation: « la suspension de la prescription, en application de l’article 2239 du Code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l’interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu’à son profit » (Cass civ 31 janvier 2019, n°18-10.011).