Emplacement réservé et indemnisation de la privation du droit de rétrocession

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 10 juin 2021, 19-25.037

de la mise en œuvre de la procédure de délaissement dans les années 1980…

Au début des années 1980, les propriétaires d’une parcelle située dans un emplacement réservé par le plan d’occupation des sols d’une commune aux fins d’implantation d’espaces verts, ont mis en demeure la commune de l’acquérir en application de la procédure de délaissement alors prévue par l’article L.123-9 du code de l’urbanisme. 

Aucun accord n’étant alors intervenu sur le prix de cession, un jugement du 20 septembre 1982 a ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et un arrêt du 8 novembre 1983 a fixé le prix d’acquisition. 

Le 22 décembre 2008, le terrain a été revendu et, le 18 octobre 2011, a fait l’objet d’un permis de construire. 

… a une action en dommages-intérêt en 2013

Le 29 octobre 2013, les propriétaires initiaux de la parcelle ont assigné la commune en paiement de dommages-intérêts

Dans un premier arrêt du 18 avril 2019 (3e Civ., 18 avril 2019, pourvoi n°18-11.414), la Cour de cassation a considéré que les propriétaires initiaux de la parcelle ayant, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un prix de 800.000 francs (121.959,21 euros), cédé à la commune leur bien, qui faisait alors l’objet d’une réserve destinée à l’implantation d’espaces verts, et que la commune, sans maintenir l’affectation du bien à la mission d’intérêt général ayant justifié sa mise en réserve, avait modifié les règles d’urbanisme avant de revendre le terrain, qu’elle avait rendu constructible, à une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 euros.

En conséquence, il en résulte que, en dépit du très long délai séparant les deux actes, la privation de toute indemnisation portait une atteinte excessive au droit au respect des propriétaires au regard du but légitime poursuivi, de sorte qu’en rejetant la demande de dommages-intérêts formée par celle-ci, la cour d’appel avait violé l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 

La commune a formé le pourvoi n°19-25.037 contre l’arrêt rendu le 19 novembre 2019 par la cour d’appel de Lyon sur ce renvoi.

Droit à indemnisation en cas de privation du droit de rétrocession

Le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit un droit de rétrocession (ancien article L.12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, abrogé au 1er janvier 2015, devenu l’article L. 421-1) : l’exproprié peut ainsi solliciter la rétrocession du bien si ce dernier n’a pas reçu dans les cinq ans la destination prévue par l’acte de déclaration d’utilité publique. 

Il est constant que l’exercice du droit de délaissement, constituant une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire du bien, ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le fondement de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, même lorsque le juge de l’expropriation a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix et ordonné le transfert de propriété au profit de la collectivité publique (Cass 3e Civ., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-13.670). 

Au visa de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, la Cour de Cassation a jugé que le fait de priver de toute indemnisation consécutive à l’absence de droit de rétrocession le propriétaire ayant exercé son droit de délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc inconstructible, puis revendu après avoir été déclaré constructible, constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit, justifiée certes par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l’intérêt général, d’un bien dont son propriétaire a exigé qu’elle l’acquière. 

Cette ingérence doit toutefois ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi. 

La Cour de cassation s’étant livré à ce contrôle de la proportionnalité dans son premier arrêt du 18 avril 2019, le contrôle effectué par la Cour d’appel de renvoi était surabondant, et les propriétaires initiaux de la parcelle étaient fondés à soutenir qu’en dépit du délai de plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect de leurs biens au regard du but légitime poursuivi.

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